'Au-devant du principe de précaution' - Tribune libre - L'Humanité - 27/09/2008

Par Dimitra Panopoulos, militante de Robin des toits, collectif des parents et du personnel de la crèche Saint-Jacques, Paris 14e.



Les antennes de radiotéléphonie sont-elles nuisibles à la santé publique ?


L’on racontera un jour, à ceux de nos enfants qui auront survécu à la marche forcée du marché, avec quelle sollicitude cette société s’attachait à satisfaire ceux-là même de leurs désirs qu’ils n’avaient pas eu le temps d’exprimer.

Car le « sans-fil » confère à tout nouveau gadget une magie décisive : différents objets s’animent et viennent désormais au-devant de nous, tel le lapin Wi-Fi qui annonce mails, météo et lit maintenant des histoires aux tout-petits. Un ouvrage d’Étienne Cendrier (1) souligne ainsi le décompte des inventions à venir, selon le calcul qui en est fait par l’industrie Violet : « On comptabilise aujourd’hui en moyenne six mille objets dans une maison, dont seulement trois - le téléphone, l’ordinateur et la télévision - sont connectés. Il en reste cinq mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept. »

La généralisation du sans-fil trouve cependant sa principale médiation dans le développement du portable et de ses usages annexes. À Noël, les enfants ont reçu un portable adapté à leurs besoins. Une semaine plus tard, Roselyne Bachelot énonce cette recommandation, sans force de loi, d’user de précaution à l’égard des plus jeunes, et la précise en se disant « inquiète en tant que mère de famille », mais « prudente en tant que ministre ». Une proposition de loi émane en revanche du 14e Parlement des enfants, en mai 2008. L’on dira qu’ils ne sont pas si crédibles, étant intéressés au premier chef. Et sans doute ont-ils motif à craindre l’indifférence des pouvoirs publics, plusieurs scandales survenus en France et ailleurs mettant en cause des antennes-relais (200 000 en France) dans l’apparition inexpliquée de leucémies, cancers du tronc cérébral, lymphomes et autres pathologies. Une synthèse de 1 500 études fait état, depuis août 2007, de preuves concernant le danger de l’exposition aux CEM (champs électromagnétiques), dans le rapport Bioinitiative reconnu et soutenu par l’Agence européenne de l’environnement. Pourtant les écoles exposées aux antennes-relais ne se comptent plus, et le Wi-Fi vient s’ajouter à ces émissions déjà délétères dans les jardins publics où les enfants jouent quotidiennement (Hotspots Neuf, Ozone, etc.).

Plusieurs maires prennent aujourd’hui les devants au titre du principe de précaution inscrit dans la Constitution : Gérard Collomb, à Lyon, qui a imposé de désactiver les antennes-relais mises en cause après la déclaration de deux cas de cancers avec décès à l’école Victor-Hugo. Puis le maire de Courbevoie, procédant à la désactivation des systèmes Wi-Fi dans la totalité des écoles de sa commune.

Dans une même volonté d’éviter un désastre sanitaire équivalent à celui de Saint-Cyr, M. Castagnou, maire du 14e arrondissement de Paris, s’est engagé à exiger des opérateurs le respect du 0,6 v/m (2) ou le démantèlement du site, soutenu par M. Dutrey (Verts), Mme Sarnez (Modem), Mme Carrère-Gée (UMP) : en jeu, le sort d’une crèche, exposée à 30 mètres et de plain-pied aux quinze antennes de la faculté de médecine. Sise entre l’hôpital Cochin et la maternité de Port-Royal également concernés, la crèche devient emblématique de la nécessité des pouvoirs publics de reprendre en main une situation dont les populations souffrent de façon grandissante, quand l’électrohypersensibilité (EHS) est déjà reconnue en Suède et en Angleterre comme un handicap fonctionnel.

En janvier prochain, une nouvelle charte de bonne conduite sera signée par les opérateurs avec la Ville de Paris, dont les associations attendent qu’elle exige le respect de 0,6 v/m comme seuil maximum et indépassable.

D’ici là, les enfants tentés de faire l’école buissonnière seraient plus inspirés de fréquenter les bonnes bibliothèques, ayant fait l’objet d’un moratoire sur le Wi-Fi, plutôt que les parcs, squares et autres jardins publics. D’aucuns y trouveront de quoi méditer sur les ressources de la mithridatisation (recherche d’une immunisation par accoutumance au poison - NDLR) dans un environnement hostile. Ceux qui en auront bien compris la portée et qui réchapperont de la sélection naturelle atteindront alors l’âge requis pour passer les lourdes portes du cénacle de la Bibliothèque nationale. Ils pourront alors méditer à loisir, pour ceux de leurs camarades tombés pour le capital, ce feuillet écrit par Mallarmé Pour un tombeau d’Anatole, son fils emporté par une leucémie :

« Siècle

Ne s’écoulera pas

Juste pour

M’instruire. »

(1) Porte-parole de Robin des toits, auteur d’Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ? Éditions du Rocher, 2008.

(2) Intensité du champ électrique mesurée en volts par mètre.

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Source : http://www.humanite.fr/2008-09-27_Tribune-libre_Au-devant-du-principe-de-precaution

Robin Des Toits
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